Des aventures d'une pilote.

C’était une catastrophe. En jouant à l’Evolution (consistant à descendre de l’arbre), Zaïa avait déchiré sa veste et Yun avait les genoux et la joue droite écorchés pour cause d’évolution trop enthousiaste. Le chemin du retour était difficile à trouver et avec une heure de retard Mamie allait tellement se venger que la fillette débraillée retenait à grand peine des larmes en imaginant la punition à venir.
Mamie ne nous donnerait pas vraiment à manger aux Klingons, n’est-ce pas ?
Prenant son rôle de grande sœur responsable très à cœur, Zaïa, complètement perdue et bien décidée à le cacher à son frère, choisit le sentier de gauche à l’embranchement.
Après quelques secondes d’hésitation, la petite main de Yun tira celle de sa sœur.
« Zaïa… la maison, c’est à gauche » dit-il en montrant le chemin de droite.
À la fois soulagée et incroyablement vexée, la fillette suivit les conseils de son cadet tout en grommelant qu’il avait tort et que le bon chemin était celui de droite. Mauvaise foi quand tu nous tiens…

À peine Zaïa franchissait la porte du jardin qu’on l’agrippa par le poignet et la trainait de force sous la douche. Mamie avait un genre de superpouvoir multifonction : elle savait où tu étais, quand tu rentrais, arrivait à te trainer sous la douche en te déshabillant en chemin tout en te sermonnant « les petites filles bien élevées ne vont pas se rouler dans la jungle avec leur frère de quatre ans, par le traité organien ! ». Ne parlons pas de sa capacité bonus à t’arracher la peau en te savonnant, il y a des enfants dans la pièce.

Les raisons de l’agitation particulière de la matriarche étaient simples : le clan Keerl était convié à un événement mondain. Une collègue d’Andrina en effet, à peine sortie de couches, enterrait son premier né, un numéro mort quelques jours avant d’être nommé. Tout le gratin de Délos s’y pressait donc.

Zaïa accompagna sa mère présenter ses condoléances aux infortunés parents. Elle serra la main de la mère, imitant les adultes avant elle.
« Pardon Madame »
Elle arracha un maigre sourire à la mère qui lui indiqua que « Je suis désolée de votre perte » était une formule plus conventionnelle.
Ses obligations sociales remplies tant bien que mal, Zaïa décida de partir à la recherche du buffet. Elle passa auprès de plusieurs groupes d’adultes sans prêter attention aux différentes conversations.

« Devoir simplement abréger les souffrances d’un premier né est très encourageant, le prochain sera probablement viable. »

« Vous avez vu Andrina ? Quel culot, un seul numéro sur trois enfants, c’était vraiment pas nécessaire de remuer le couteau dans la plaie des parents en amenant ses deux enfants ! Quelle prétention ! »

« Zaïa ! »
Un garçon à peine plus grand qu’elle l’agrippa par la robe, la tâchant au passage. Tevan, le fils unique du Gouverneur de cette province, lui souriait d’un air ravi.
À force d’être les seuls enfants présents à la plupart des réunions mondaines, ils avaient fait connaissance et s’entendaient comme larrons en foire, foutant occasionnellement un bordel monstre.
Attrapant un erre de jus de Kal d’une main et un saladier de cacahuète de l’autre, Zaïa alla s’installer avec lui sur un banc à l’écart. Surtout à l’écart de Mamie, élue personne la plus terrifiante de la Galaxie après la punition qu’elle leur avait donné à la suite du mariage de l’ambassadeur Forlan. Ils avaient confondu le Punch et le jus de fruit (en tout bonne foi) et une fois complètement déchirés, avaient dans l’ordre : boulotté la pièce montée, coupée les cheveux d’une nièce de la mariée, mis le feu à la veste de Tevan, empiré les choses en vidant un verre de Punch dessus, vomi partout, eu très mal aux cheveux le lendemain et le pire de tout : traité Mamie de vieille crotte.

Toutefois aujourd’hui l’excitation de Tevan n’avait rien à voir avec une ingestion d’alcool fort. La rentrée des classes était toute proche.
« Tu as déjà les résultats du test ? »
« Non, je suis passée il y a trois jours seulement. »
Les tests servaient à définir la « classe » , composée de 60 enfants, dans laquelle chaque élève suivrait l’ensemble de sa scolarité et de ses loisirs jusqu’à sa maturité. Tevan savait déjà qu’il était un Omega. Le père de Zaïa n’ayant pas fait partie de cette classe, celle-ci se rongeait les sangs. Réussirait-elle à y entrer ?
« T’inquiètes, je suis sûr qu’on sera ensemble en Omega.» tenta de la rassurer Tevan, confiant.
« Ch’ais pas, la dame du test de prescience m’a regardée vraiment bizarre. Qu’est-ce que je vais faire si je suis comme Papa ? »

Une petite voix misérable interrompit la discussion.
« Z… Za… ïaaaaaaaah… »
Yun se planta devant son ainée, les larmes ruisselant de son menton.
« Les grands… y zont… dit… j’étais un num… un numéroooooo… » sanglota-t-il.
Zaïa sécha les larmes de son frère avec un coin de sa robe et lui demanda doucement de lui montrer les grands pendant que Tevan révisait son répertoire d’insultes, aussi furax l’un que l’autre.

Les grands en question étaient un groupe de quatre garçons et deux filles, vraisemblablement d’une dizaine d’année, inconnus de Zaïa. Elle se planta devant le plus grand du lot.
« C’est vous qui avez traité mon frère de numéro ? »
« Ouais, rétorqua-t-il goguenard, c’est un bébé et il est minus. J’comprends même pas pourquoi il a un nom. »
Yun se remit à sangloter de plus belle et Tevan lui prit la main.
« Hey, Yun, t’es pas un numéro. Tu veux que je te dise comment leur montrer ? »
Il hocha la tête sans tenter de ravaler ses larmes. Tevan lui fit un clin d’œil et lui ferma le poing.
« Voilà, tu serres bien et tu vas lui taper très fort dans le ventre avec, ok ? »
Yun opina et se précipita su le « grand ».
« Pff comme ci un numéro pouvait me faire mal. »
Il riposta au coup de Yun et donna le signal de l’ouverture des hostilités.

Yun reçut un coup au visage et griffa en criant. Tevan distribua une série de coup de pied et en reçut le triple. Zaïa fracassa son verre sur la tête d’une fille qui se retira de la bagarre pour geindre plus à son aise. Elle mordit le grand qui lui tirait les cheveux pendant que Tevan se roulait par terre en hurlant avec son adversaire. Zaïa tentait de mettre ses doigts dans l’œil de son opposant lorsque Mamie l’empoigna et la jeta hors du ring. Elle gifla à toute volée plusieurs grands ainsi que Tevan.

Ah crotte, c’est la fin, on va tous mourir ! Mamie nous a repéré et elle a pas l’air contente du tout.
La sexagénaire se mit à hurler sur le groupe d’une voix suraigüe et avec un débit terrifiant, évitant ainsi toute interruption.

« Bande de petits sagouins ! Vous n’avez pas honte de vous comportez ainsi ?! Zaïa et Tevan, vous croyez que ce sont des façons de se tenir à des funérailles ? Vous cherchez à dégoutter tout le monde de faire des enfants ?! Et encourager ton frère à se bagarrer, tu crois que c’était une bonne idée ? Silence Tevan, j’t’ai à l’œil aussi ! Et vous ! S’attaquer à plus jeune que soi, c’est vraiment un comportement de numéro ! Oui, c’est à vous que je parle jeune homme ! Vous n’êtes qu’un enfant immature ! Monsieur, avec tout mon respect, la ferme ! Quand on est pas capable d’élever correctement son fils, on la ramène pas. Vous étiez où quand il se battait avec un gosse de quatre ans hein ? Allez viens Yun, Mamie va te soigner. »